Biologie du développement : quels mécanismes régissent la dynamique des cellules et des tissus ?

Résultat scientifique Bioingénierie

Au cours du développement d'un animal, chaque tissu acquiert une taille et une forme bien définies par une combinaison coordonnée de changements cellulaires tels que la division, l’intercalation, le changement de forme et la mort programmée des cellules. Une équipe de recherche alliant génétique, mécanique et physique statistique est parvenue, chez la drosophile, à mieux caractériser et mesurer les contributions respectives de ces comportements cellulaires dans l’acquisition de la taille et de la forme des tissus, tout en évaluant les forces mises en jeu. Ces résultats ont été publiés dans eLife.

Bien qu’ils se développent à partir d’une cellule unique, les animaux d’espèces différentes peuvent présenter une grande variété de formes et de tailles, tandis qu’au sein d’une même espèce le développement reste très reproductible. Pour comprendre ce phénomène et tenter de relever ce défi central en biologie du développement, des chercheurs du laboratoire Matière et systèmes complexes (MSC, CNRS/Univ. Paris Diderot) et de l’unité de Génétique et biologie du développement (CNRS/Institut Curie/INSERM/UPMC) ont voulu visualiser la précision du contrôle qui s’opère et qui permet, à l’échelle individuelle et collective, l’acquisition de la forme d'un organe et son maintien à l’âge adulte à partir de la croissance, de la division, du mouvement et de la mort des cellules.

Pour y parvenir, ce travail collaboratif s’est appuyé sur l’étude du développement de la drosophile (ou mouche à fruits), un organisme particulièrement intéressant pour ces « mécaniciens » de la génétique car il se développe rapidement en tissus facilement observables. En 5 jours, un asticot en forme de grain de riz se transforme en mouche adulte finement sculptée présentant de longues antennes, des pattes, une taille et un cou étroits, des ailes bien délimitées et des yeux extrêmement organisés. L’équipe a ainsi pu filmer au microscope des thorax de drosophiles pendant une journée. Sur chacune d’entre elles, les chercheurs ont suivi jusqu’à 9 000 cellules en cours de développement, ont caractérisé l’évolution de plus de 3 millions de jonctions cellulaires et ont observé les 17 000 divisions cellulaires qui s’y sont déroulées. Il leur a fallu ensuite imaginer comment extraire de cette masse de données une information statistique utile permettant de caractériser et de mesurer ces processus, afin de pouvoir la moyenner sur différents individus.

Cette équipe de recherche interdisciplinaire a, dans un premier temps, élaboré une méthode mathématique permettant de quantifier les déformations associées à chacun des comportements cellulaires, et de les relier à la déformation du tissu, unifiant ainsi leurs descriptions. En l’appliquant à la drosophile, les chercheurs sont parvenus à établir des cartes statistiques globales d’événements morphogéniques représentant les contributions de chaque processus cellulaire au développement du tissu. Ils ont ainsi pu visualiser comment la division cellulaire, la mort cellulaire et les changements de taille des cellules affectent la taille des régions du tissu, tandis que la division cellulaire, l’intercalation des cellules et les variations de la forme des cellules modifient la forme des régions du tissu. En observant les formes des cellules, il a été possible d'en induire les forces qui les déforment, puis de mettre en évidence des couplages entre allongement du tissu, division cellulaire et force mise en jeu. Enfin, lorsqu'une mutation supprime la division des cellules, les chercheurs ont observé que ce défaut  de division affecte également les autres comportements cellulaires de façon importante, et que la forme du tissu est ainsi plus affectée qu'on ne pourrait le prédire.

L’ensemble de ces travaux qui combinent de façon rigoureuse la génétique, la mécanique et la physique statistique, apporte une vision claire des mécanismes biologiques et physiques contrôlant les comportements collectifs des cellules au cours du développement. Cette approche étant définie pour un matériau cellulaire quelconque à deux ou à trois dimensions, elle s'applique également à d'autres tissus, et pourra se généraliser à tout autre organisme multicellulaire.

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© B. Guirao, S.U. Rigaud & F. Bosveld / Institut Curie

Thorax dorsal d'une mouche drosophile pendant sa métamorphose illustrant la méthode développée.
Au-delà de l’image à gauche se trouve la tête, et à droite l’abdomen ; l'axe de symétrie de l'animal est horizontal. Sur la partie gauche, les contours des cellules sont observés en microscopie. Au centre, les contours cellulaires ont été digitalisés, et les cellules suivies au cours du développement ; les tons de vert indiquent le nombre de divisions de chaque cellule : vert clair (une), vert moyen (deux), vert foncé (trois et plus) ; les cellules noires correspondent aux soies. A droite, pour chaque région du tissu, les contributions des changements de forme (cyan), des divisions (vert)  et des intercalations (magenta) cellulaires à la déformation du tissu sont représentées par des barres indiquant leur importance et leur orientation. C’est à partir de ces analyses que les chercheurs ont pu cartographier les différents processus cellulaires et leurs évolutions spatio-temporelles.

Références :

B. Guirao, S.U. Rigaud, F. Bosveld, A. Bailles, J. López-Gay, S. Ishihara, K. Sugimura, F. Graner, Y. Bellaïche
Unified Quantitative Characterization of Epithelial Tissue Development 
eLIFE (mars 2016)
doi:10.7554/eLife.08519

Contact

Yohanns Bellaiche
Boris Guirao
Chercheur
François Graner
Chercheur