Comment la Maïzena® parvient-elle à s’écouler dans un tuyau ?

Résultat scientifique

Transportés dans des tuyaux, les fluides rhéoépaississants, tels que la Maïzena® dans de l’eau ou certains bétons, devraient se solidifier lorsqu’ils sont soumis à de fortes pressions. Or ce n’est pas ce qui est observé dans la pratique. Des chercheurs ont découvert que les contraintes se focalisent en fait sur un court tronçon du tuyau, permettant aux autres parties de l’écoulement de rester fluides. Parus dans PNAS, ces travaux intéressent les nombreux usages industriels des fluides rhéoépaississants.

Constitués de particules d’une dizaine de microns en suspension, les fluides rhéoépaississants s’écoulent comme des liquides visqueux conventionnels sous de faibles sollicitations, mais se solidifient dès qu’ils sont vigoureusement cisaillés. Ce comportement vient de la répulsion entre les particules, qui glissent sous faible contrainte et frottent sous contrainte élevée. C’est pourquoi on s’enfonce dans une piscine d’eau mélangée à de la maïzena si l’on y entre doucement, mais pas si l’on court assez vite. Ces matériaux, tels que les bétons haute-performance avant prise, la pâte de chocolat ou encore certains magmas, parviennent cependant à circuler dans des tuyaux malgré la pression qui devrait les solidifier. Certes, le débit cesse d’augmenter proportionnellement à la contrainte lorsque celle-ci dépasse le niveau qui devrait en principe solidifier le tout, mais l’écoulement persiste, et ce sans fluctuations du débit. Des chercheurs de l’Institut universitaire des systèmes thermiques industriels (IUSTI, CNRS/Aix-Marseille Université) et de l’entreprise Chryso France ont révélé et expliqué le mécanisme de cet écoulement si particulier : les contraintes se concentrent en fait sur un court tronçon de tuyau, permettant au reste de l’écoulement de rester fluide. Cette zone de coincement, aussi courte que le diamètre du tuyau, laisse passer l’écoulement tout en remontant à contre-courant.

Comme les fluides rhéoépaississants sont des suspensions denses, ils ne sont pas transparents. Les chercheurs n’ont pu observer l’écoulement que sur la centaine de microns la plus proche de la paroi du tuyau. Ils ont ajouté des traceurs fluorescents qui leur ont donné les gradients de vitesse de l’écoulement, le long de la paroi et vers le centre du tuyau. Ils ont ainsi repéré la zone de coincement, appelée soliton frictionnel parce que les grains y frottent et qu’elle remonte l’écoulement comme une onde isolée. Le soliton s’étend continûment vers l’amont tout en se délitant à l’aval. Il n’y a qu’un seul soliton à la fois dans le tuyau et il n’apparaît que lorsque la pression amène les contraintes au-dessus du seuil de solidification. Une fois que le soliton atteint le haut du tuyau, il disparaît pour se reformer aussitôt tout en bas et reprendre son ascension. Des mesures de pression effectuées le long du tuyau confirment que la perte de charge se concentre dans le tronçon où se situe le soliton, permettant aux autres tronçons de rester fluides. Ce comportement a été vérifié pour plusieurs suspensions, constituées de grains de composition, de forme et de taille variées.

Ces travaux pourraient aider à établir des lois de débit pour de nombreuses applications industrielles, comme dans le bâtiment ou pour l’agroalimentaire. Pour cela, il reste à comprendre ce qu’il advient lorsque l’écoulement passe aussi par des coudes et des réservoirs.

Comment la Maïzena parvient-elle à s’écouler dans un tuyau ?
Le soliton se forme en bout de tuyau dès que la vanne est ouverte. Il remonte l’écoulement, s’étendant aussi vite vers l’amont qu’il se délite à l’aval, sans jamais bloquer l’écoulement.
© A. Bougouin

Références
A frictional soliton controls the resistance law of shear-thickening suspensions in pipes.
Alexis Bougouin, Bloen Metzger, Yoël Forterre, Pascal Boustingorry & Henri Lhuissier.
PNAS, 2024.

https://doi.org/10.1073/pnas.2321581121

Contact

Henri Lhuissier
Chargé de recherche CNRS à l’Institut universitaire des systèmes thermiques industriels (IUSTI, CNRS/Aix-Marseille Université)
Communication CNRS Ingénierie