Comment la mouche déploie ses ailes
Des chercheurs ont analysé le mécanisme par lequel une mouche sortant de sa chrysalide déploie ses ailes en quelques minutes. A l'aide de techniques d'imagerie, de mesures mécaniques et de modélisation, ils ont mis en évidence un processus qui combine dépliement d'une structure et étirement du tissu cellulaire. Ces résultats, issus d'une collaboration entre plusieurs laboratoires, sont publiés dans Nature Communications.
Lorsqu'une mouche déploie pour la première fois ses ailes, elle déplie une structure d'origami en une surface rigide et fonctionnelle. Le mécanisme responsable de ce changement de forme spectaculaire restait encore largement inconnu, et aucun modèle physique ne permettait d'en rendre compte. Des chercheurs de l’Institut universitaire des systèmes thermiques industriels (IUSTI, Aix-Marseille Université/CNRS), de l’Institut de biologie du développement de Marseille (IBDM, Aix-Marseille Université/CNRS), et de l'Institut de recherche sur les phénomènes hors équilibre (IRPHE, Aix-Marseille Université/Centrale Marseille/CNRS), ont réalisé l'analyse mécanique de cette transformation, et construit un modèle qui met en évidence l’existence d’un point de fonctionnement utilisé par l'insecte pour déployer ses ailes.
Pour observer le déploiement des ailes d'un insecte, l'équipe a travaillé avec la drosophile, une petite mouche largement étudiée en biologie du développement. À l'aide d'une loupe binoculaire, c'est d'abord le processus à l'échelle macroscopique qui a été filmé : les deux ailes se transforment simultanément, passant en une dizaine de minutes d'une structure 3D repliée à une surface plane déployée. L'organisation interne de l'aile avant son dépliage est mise en évidence par une technique de rayons X, la microtomographie, qui permet de reconstruire sa structure 3D : l'aile est constituée de deux plaques de 6,5 µm d'épaisseur, reliées par un réseau de piliers de 7,5 µm de hauteur, et est parcourue par des veines. A une échelle plus fine encore, la microscopie électronique révèle que chaque plaque comprend une couche monocellulaire, recouverte d'une couche rigide initialement plissée. Lors du déploiement de l'aile, les cellules s’étirent tandis que la couche plissée se déplie sans s’allonger, fixant ainsi la taille de la structure finale.
Les variations de pression du flux sanguin ont été mesurées pendant le déploiement de l'aile : c'est l'augmentation rapide de cette pression qui provoque le dépliage, par actionnement hydraulique, comme dans un matelas gonflable dans lequel la pression guide l'expansion dans le plan de deux plaques reliées par des piliers. Les caractéristiques mécaniques de l'aile (résistance, propriétés viscoélastiques) ont également été mesurées. Un modèle physique, basé sur la structure de l'aile et sur ses propriétés mécaniques, a permis de réaliser des simulations numériques du processus de déploiement sous l'action de la pression du flux sanguin. Elles ont révélé que la mouche utilisait un point de fonctionnement permettant une grande expansion pour une variation relativement faible de pression, grâce à la géométrie de l’aile et aux caractéristiques mécaniques du matériau.
Certains aspects du processus restent toutefois à élucider, tels que son irréversibilité (une fois déployée, l'aile ne se replie pas), ou encore la planitude de l'aile. Plus généralement, le mécanisme décrit est-il applicable à d'autres insectes?
Par ailleurs, en dehors du domaine de la biologie, ces recherches enrichissent la compréhension de la mécanique des structures souples capables de changer de forme. Elles ouvrent ainsi de nouvelles perspectives pour des applications dans le domaine des structures déployables ou de la robotique flexible.
Références
Mechanics of Drosophila wing deployment.
Simon Hadjaje, Ignacio Andrade-Silva, Marie-Julie Dalbe, Raphaël Clément, Joël Marthelot.
Nature Communications, 11 décembre 2024.
https://doi.org/10.1038/s41467-024-54527-0
Article consultable sur la base d’archives ouvertes HAL