Comment vieillissent les pâtes et les suspensions colloïdales
Une équipe du laboratoire Navier, en collaboration avec l'université du Delaware (Etats-Unis), a identifié un nouveau processus responsable du vieillissement des suspensions colloïdales au repos : la rigidification progressive des contacts entre les particules en suspension. Ces résultats, qui ouvrent la voie à un contrôle du vieillissement mécanique de ces matériaux dans de multiples applications, sont publiés dans la revue Nature Materials.
L'argile, le ciment frais, mais aussi de nombreux matériaux dans les industries chimiques, agroalimentaires, pharmaceutiques et cosmétiques, se présentent sous la forme de pâtes ou de suspensions denses de particules de tailles inférieures à quelques microns (colloïdes).
Le vieillissement mécanique de ces matériaux au repos, qui se traduit par une augmentation de leur module élastique, est habituellement expliqué par une réorganisation de l'arrangement géométrique de leurs constituants. Or, une équipe du laboratoire Navier (CNRS/Ecole des Ponts/Université Gustave Eiffel), en collaboration avec l'université du Delaware (Etats-Unis), a montré que le vieillissement peut être observé en l'absence de toute modification de la microstructure. Dans ce cas un autre processus explique le vieillissement mécanique des pâtes au repos : la rigidification progressive des contacts entre les particules de la suspension colloïdale. Pour le mettre en évidence, les chercheurs ont combiné des essais de rhéométrie, des observations en microscopie confocale et des tests mécaniques à l'échelle des particules en utilisant des pinces optiques1
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Des mesures effectuées pour une suspension dense de particules de silice (de tailles comprises entre 0,5 à 1,9 micromètres) ont montré que son module de cisaillement augmente de manière quasi-logarithmique au cours du temps, alors que sa structure géométrique reste figée. Par ailleurs, à l'aide de pinces optiques, des tests de flexion ont été réalisés sur des assemblages de particules formant des bâtonnets. Résultat : la rigidité en flexion des contacts entre particules croit elle-aussi de manière quasi-logarithmique, sur la même échelle de temps. Ces observations ont conduit les scientifiques à attribuer le vieillissement de la suspension à la rigidification progressive des contacts entre les particules. Des résultats similaires ayant été obtenus avec des suspensions de particules de PMMA, ce processus de vieillissement par contact semble donc générique dans les suspensions denses, et pourrait concerner toute une série de matériaux d'intérêt pratiques, comme les ciments au jeune âge (avant la prise), les sédiments, la céramique, les boues d'épuration, les résidus miniers, etc. A terme, il serait donc possible de régler le vieillissement mécanique des matériaux dont on contrôle la formulation en adaptant la chimie de surface des particules ou encore de mieux prédire le comportement de matériaux naturels.
Dans le prolongement de ces résultats, l'équipe du laboratoire Navier veut maintenant s’intéresser aux mécanismes à l'origine de cette rigidification progressive des contacts entre particules. Elle va aussi explorer d'autres propriétés mécaniques de ces suspensions, telle la plasticité. Enfin, le processus observé va faire l'objet d'une simulation discrète, avec l'ambition d'établir un modèle prédictif du processus de vieillissement.
Référence
Contact and macroscopic ageing in colloidal suspensions,
F. Bonacci, X. Chateau, E. M. Furst, J. Fusier, J. Goyon and A. Lemaître
Nature Materials (2020)
doi.org/10.1038/s41563-020-0624-9
- 1Une pince optique permet de piéger un objet de petite dimension (particule, cellule...) à l'aide d'un faisceau laser. Il est alors possible de manipuler cet objet avec précision par déplacement du faisceau laser de piégeage.