Des gouttes de protéines bioinspirées nagent grâce à un nouvel effet physique

Résultat scientifique

Dans les cellules, véritables usines chimiques, les réactions sont organisées par des compartiments, ou organites, dont certains sont dépourvus de membrane. Une collaboration internationale a révélé l’existence d’un phénomène inattendu, baptisé dialytaxis, dans des organites artificiels sans membrane. Selon ces travaux publiés dans Nature Communications, cet effet pourrait jouer un rôle dans l’organisation des compartiments cellulaires et être exploité en bioingénierie.

À l’intérieur des cellules, on trouve des compartiments bien définis qui régulent l’activité biochimique. Certains, comme le noyau, possèdent une membrane, d’autres, en revanche, ne sont délimités que par une interface liquide-liquide qui se maintient malgré les nombreuses réactions chimiques environnantes. Si les propriétés d’une interface liquide varient le long d’elle-même, comme en ajoutant localement un produit tensioactif comme le savon, des écoulements spontanés apparaissent et déplacent la matière : c’est ce qu’on appelle l’effet Marangoni. Il se retrouve par exemple dans les larmes de vin, ces bourrelets liquides qui se forment au-dessus du vin lorsque l’on agite son verre. Dans ce cas, l’alcool, dont la quantité varie le long de l’interface, joue le rôle du savon. Cependant, la grande majorité des compartiments sans membrane des cellules ne synthétisent ni savon ni alcool, et l’effet Marangoni n’est donc pas censé pouvoir s’y produire. Des chercheurs et chercheuses du Laboratoire d’hydrodynamique (LadHyX, CNRS/École Polytechnique), de l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ, Suisse) et de l’université Cornell (États-Unis) ont cependant découvert que l’effet Marangoni pourrait bien s’y dérouler, selon un principe plus générique que prévu.

L’équipe étudiait les réactions chimiques à l’intérieur d’un système artificiel de gouttes de protéines chargées d’enzymes, qui imitent les compartiments sans membrane des cellules. Les scientifiques regardaient le cas de la réaction de dégradation de l’urée en ammoniaque et en dioxyde de carbone, quand ils ont vu les gouttes de protéines se mettre à nager et à s’attirer entre elles. Un comportement qui correspond à l’effet Marangoni. Les molécules produites par la dégradation de l’urée, bien que très éloignées du savon ou de l’alcool, perturbent la stabilité de l’interface liquide-liquide entre la goutte et la solution. En testant différentes molécules, les chercheurs se sont rendu compte que les gouttes de protéines se dirigent alors collectivement vers des zones concentrées en molécules qui les dissolvent. Ce phénomène, que les co-auteurs ont baptisé dialytaxis, pourrait participer au transport des compartiments sans membrane à l’intérieur des cellules.

Ce principe pourrait, à terme, servir à la conception de « gouttelettes robots » qui sentiraient les variations de composition chimique de leur environnement, se déplaceraient en conséquence, puis se transformeraient en microréacteurs chimiques à l’endroit voulu.

Des gouttes de protéines bioinspirées nagent grâce à un nouvel effet physique
Image d’écoulement spontané au sein d’une goutte de protéines.
© Étienne Jambon-Puillet et al.

Références
Phase-separated droplets swim to their dissolution.
Etienne Jambon-Puillet, Andrea Testa, Charlotta Lorenz, Robert W. Style, Aleksander A. Rebane & Eric R. Dufresne.
Nature Communications volume 15, article number: 3919 (2024).
https://doi.org/10.1038/s41467-024-47889-y
Article consultable sur la base d’archives ouvertes HAL

Contact

Étienne Jambon-Puillet
Chargé de recherche CNRS au Laboratoire d’hydrodynamique (LadHyX, CNRS/École Polytechnique)
Communication CNRS Ingénierie