Distinguer les cellules cancéreuses des cellules saines grâce à l'intelligence artificielle

Résultat scientifique

En réalisant des mesures biomécaniques sur des cellules, à l'aide d'un microscope à force atomique automatisé, et en analysant les résultats avec des outils d'apprentissage automatique, une équipe interdisciplinaire du LAAS-CNRS et de Restore a réussi à classifier des centaines de cellules avec un taux élevé de réussite. Ces résultats sont publiés dans ACS Applied Materials and Interfaces.

Les cellules saines ont des propriétés mécaniques différentes de celles des cellules pathologiques. Des mesures biomécaniques réalisées avec un microscope à force atomique (AFM) ont notamment montré que l'on pouvait distinguer des cellules cancéreuses des cellules normales. Les résultats de ces mesures pourraient donc servir au diagnostic, à condition que la technologie AFM soit capable de fonctionner avec un haut débit. 

Pour relever ce défi, une équipe du LAAS-CNRS en partenariat avec le pôle mécanobiologie du laboratoire Restore (CNRS/Établissement français du sang/Inserm/Université Toulouse Paul Sabatier) a conçu un dispositif automatisé de mesures biomécaniques par AFM qui effectue un grand nombre de mesures en un temps limité. La première étape consiste à immobiliser les cellules sur une puce microstructurée. Les mesures biomécaniques sont alors réalisées de manière automatique, grâce à un logiciel de contrôle qui déplace l'AFM d'une cellule à l'autre. Afin de standardiser les mesures, des paramètres tels que la répartition des cellules sur la puce, la géométrie de la sonde de l'AFM et la vitesse de déplacement ont été optimisés et fixés. Avec ce dispositif, l'équipe du LAAS a pu mesurer près d'un millier de cellules en deux heures, alors qu'avec un AFM standard une journée entière est nécessaire pour mesurer seulement quelques dizaines de cellules.

Pour chaque cellule, l'AFM enregistre 16 courbes de force (variations de la force en fonction de la distance entre la sonde de l'AFM et la paroi de la cellule), ce qui permet de mesurer et calculer sept caractéristiques mécaniques, pertinentes pour la classification des cellules saines ou cancéreuses. La grande quantité de données ainsi recueillies (plus de 100.000 caractéristiques) autorise alors le recours à des techniques d'apprentissage automatique pour discriminer les cellules saines et cancéreuses. 

À l'aide d'un outil d'intelligence artificielle basé sur un algorithme de logique floue, développé au LAAS, l'apprentissage automatique, puis le test du système, ont été réalisés sur des lignées cellulaires prostatiques non malignes et cancéreuses, puis sur des lignées cellulaires de fibroblastes cutanés non malins et cancéreux. Les tests ont démontré la capacité du dispositif à classifier correctement 73 % des cellules. Selon les seuils de classification imposés, le système produira plus ou moins de faux positifs (cellule saine classée comme pathologique) ou de faux négatifs (cellule cancéreuse classée comme saine). C'est pourquoi les chercheurs soulignent qu'un réglage devra être réalisé, avec des cliniciens, en fonction de l'application visée (diagnostic, suivi de chimothérapie...).

L'équipe du LAAS poursuit le développement du système, en testant d'autres algorithmes d'apprentissage automatique, afin d'améliorer le taux de classifications exactes. Un autre projet se consacre à la discrimination des cellules cancéreuses du pancréas. Par ailleurs, une nouvelle application est à l'étude : le contrôle qualité de cellules souches mésenchymateuses destinées à la régénération tissulaire en partenariat avec Restore.

À gauche: cellules organisées sur des micropatrons de fibronectine, l’insert en bas à droite montre un zoom sur une cellule. Le levier de l’AFM est le triangle noir, la sonde se trouve à l’extrémité inférieure du triangle. Au milieu, image en fluorescence d’une coculture de cellules cancéreuses (en vert) et de cellules saines (les autres). Ce procédé permet de vérifier les prédictions de l’algorithme. À droite, résultat de la classification par l’algorithme de logique floue LAMDA, entrainé à différencier les cellules saines et les cellules cancéreuses.
© Étienne Dague

Références
Automated Bio-AFM Generation of Large Mechanome Data Set and Their Analysis by Machine Learning to Classify Cancerous Cell Lines.
Ophélie Thomas-Chemin, Childérick Séverac, Abderazzak Moumen, Adrian Martinez-Rivas, Christophe Vieu, Marie-Véronique Le Lann, Emmanuelle Trevisiol, and Étienne Dague.
ACS Applied Materials and Interfaces, publié le 20 août 2024.
https://doi.org/10.1021/acsami.4c09218
Article consultable sur la base d’archives ouvertes HAL

Contact

Étienne Dague
Directeur de recherche CNRS au Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes (LAAS-CNRS)
Childérick Séverac
Ingénieur de Recherche CNRS au laboratoire Restore (CNRS/Établissement français du sang/Inserm/Université Toulouse Paul Sabatier)
Communication CNRS Ingénierie