La conception de métamatériaux guidée par des outils de l’IA

Résultat scientifique

Avec leurs structures qui sont souvent des arrangements complexes de cellules élémentaires, les métamatériaux sont capables de « contrôler » finement les ondes qui s’y propagent. Des scientifiques ont développé une nouvelle méthodologie, basée sur des outils issus de l’IA, pour concevoir des métamatériaux capables de manipuler les ondes mécaniques de fortes amplitudes. Publiés dans Nature Materials, ces travaux permettent entre autres de réaliser des zones protégées des vibrations.

Les métamatériaux présentent des structures complexes qui affectent la propagation des ondes. Ils offrent ainsi des possibilités de contrôle des ondes, qui n’ont pas souvent d’équivalents naturels, notamment pour des vibrations mécaniques, du son dans l’air ou encore de la lumière. Mais de nombreuses fonctions de contrôle d’onde ne sont pour l’instant pas atteignables, car elles reposent sur des structures trop compliquées pour être prédites par la seule théorie, notamment dans des régimes non linéaires qui se manifestent aux fortes amplitudes d’ondes où les phénomènes dépendent de l’amplitude. Il s’agit par exemple de focaliser l’énergie vibratoire dans une région choisie lorsqu’une onde de forte amplitude est générée au bord du métamatériau, de définir une zone protégée des vibrations ou d’induire un mouvement local de rotation. Ces fonctions de contrôle d’ondes aideraient entre autres à préserver des objets de chocs et de vibrations, ou à récupérer plus efficacement de l’énergie de telles ondes. Des chercheurs et chercheuses du Laboratoire d’acoustique de l’université du Mans (LAUM, CNRS/Le Mans Univ.), de l’université d’Harvard (États-Unis), de l’université technique du Danemark, de l’université de Princeton (États-Unis) et de l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ, Suisse) sont parvenus à concevoir des métamatériaux flexibles présentant de telles fonctions, grâce à des outils issus de l’intelligence artificielle.

Les métamatériaux ainsi créés sont composés d’un assemblage de centaines d’éléments rigides en 2D, dont la masse, la géométrie précise (paramétrée librement à l’aide des positions des coins de chaque masse rigide), et les connexions flexibles avec leurs voisins peuvent être changés individuellement. Pour de tels métamatériaux, il était auparavant impossible de prédire théoriquement (ou très couteux numériquement) quel effet a la modification d’un seul de ces paramètres parmi les milliers d’autres que comporte le métamatériau, et donc d’optimiser l’ensemble afin d’obtenir la fonction d’onde souhaitée. Or ce type de problème se retrouve souvent en IA, où les grands réseaux de neurones sont optimisés bien qu’ils contiennent parfois jusqu’à plusieurs millions de paramètres. Cela est possible dorénavant avec des outils de différenciation automatique, qui permettent de calculer des gradients de fonctions numériques relatifs aux paramètres de ces fonctions, et que les scientifiques ont ici adaptés à l’optimisation de la géométrie du métamatériau pour une fonctionnalité de contrôle d’onde visée. Testée expérimentalement, cette stratégie de design montre un très bon accord avec les prédictions numériques pour des tâches dynamiques complexes, telles que la focalisation de l’énergie, la réalisation de zones protégées des vibrations et la conversion de mouvements mécaniques. Cette méthodologie permet également d’identifier des architectures reprogrammables, capables de passer d’une tâche de contrôle des ondes à une autre, focalisation vers protection, changement de zone de focalisation… L’équipe compte maintenant explorer ces nouveaux matériaux et la méthodologie de design pour des applications telles qu’une cape d’invisibilité aux ondes acoustiques/mécaniques.

Le métamatériau flexible imprimé en 3D est composé d’un arrangement de masses rigides connectées par des films plastiques souples, hautement déformables. La forme de chaque masse rigide (ici des cubes identiques) peut être modifiée et optimisée pour réaliser la fonction de contrôle d’onde visée, dans un régime de grandes déformations dynamiques.
© Giovanni Bordiga et al.
Exemple d’effet obtenu dans ces travaux, avec la focalisation de l’énergie vers une zone définie du métamatériau.
© Giovanni Bordiga et al.

Références
Automated discovery of reprogrammable nonlinear dynamic metamaterials.
Giovanni Bordiga, Eder Medina, Sina Jafarzadeh, Cyrill Bösch, Ryan P. Adams, Vincent Tournat & Katia Bertoldi.
Nature Materials, 2024.
https://doi.org/10.1038/s41563-024-02008-6
Article consultable sur la base d’archives ouvertes Arxiv

Contact

Vincent Tournat
Directeur de recherche CNRS au Laboratoire d’acoustique de l’université du Mans (LAUM, CNRS/Le Mans Université)
Communication CNRS Ingénierie