La mécanosensibilité de notre « deuxième cerveau » dévoilée

Résultat scientifique

Afin de contrôler la digestion, les neurones de l’intestin ressentent les pressions mécaniques dues au passage des aliments. Une équipe franco-australienne vient de montrer que les mécanismes de détection des forces diffèrent considérablement de ceux habituellement à l’œuvre dans la transmission des signaux électriques neuronaux. Publiés dans le journal Experimental Physiology, ces travaux soulignent une nouvelle particularité du système nerveux entérique.

Seul organe de notre corps à être doté d’une innervation intrinsèque, l’intestin dispose de cent millions de neurones reliés au système nerveux central par seulement deux mille axones. Ce système nerveux entérique détecte notamment la pression mécanique exercée par le bol alimentaire, afin de commander aux muscles de l’intestin les prochaines actions digestives : transport, mélange ou rejet. Mieux comprendre comment l’intestin détecte ces sollicitations mécaniques nous éclairerait sur la régulation de la motilité digestive, et donc sur les pathologies qui lui sont associées, comme le syndrome du côlon irritable qui touche 10 % de la population. L’activité électrique des neurones dépend des canaux sodiques, qui permettent la propagation des potentiels d’action responsables de l’influx nerveux. Des chercheurs et chercheuses du laboratoire Matière et systèmes complexes (MSC, CNRS/Université Paris Cité) et de l’université Flinders (Australie) ont découvert que les neurones de l’intestin présentent des propriétés mécanosensibles dès leur différentiation, mais qu’elles ne détectent pas la pression mécanique grâce aux potentiels d’action.

Les scientifiques ont pour cela étudié des intestins de souris, génétiquement modifiées pour que leurs cellules fluorescent en fonction de leur activation électrique. Les échantillons ont été prélevés lors d’une phase critique du développement embryonnaire, où la motricité digestive transite d’une activité purement musculaire à une activité modulée par le système nerveux entérique. Les neurones fluorescent lors des sollicitations mécaniques, et sont donc déjà mécanosensibles. L’équipe a ensuite injecté de la tétrodotoxine, issue du poisson-globe très prisé au Japon sous le nom de fugu, qui bloque les canaux sodiques. Ces molécules, présentes dans la membrane des cellules, contrôlent les échanges d’ions de sodium entre l’intérieur des cellules et le milieu externe. Alors que la tétrodotoxine est connue de longue date pour stopper complètement les potentiels d’action et le fonctionnement des neurones, la réponse mécanosensible n’était pas du tout affectée. La résistance remarquable de cette réponse à toute une batterie d’inhibiteurs des canaux ioniques, au-delà des seuls canaux sodiques, suggère qu’elle pourrait être pour beaucoup un phénomène intracellulaire, reposant sur la disruption des réservoirs de calcium à l’intérieur de la cellule lors de la sollicitation mécanique.

Les auteurs ne sont pour autant pas encore certains que cela explique tout le phénomène et comptent poursuivre leurs investigations. Ils ont par ailleurs trouvé que les canaux calciques jouaient un rôle très important dans la génération des signaux électriques spontanés des neurones intestinaux. Selon un usage bien établi, les chercheurs qui étudient le système nerveux entérique appliquent souvent des inhibiteurs des canaux calciques, qui bloquent les contractions naturelles de l’intestin et facilitent ainsi la prise d’images. Ces travaux suggèrent que cette pratique courante pourrait en fait fausser les observations en inhibant davantage de fonctions que prévu.

La mécanosensibilité de notre « deuxième cerveau » dévoilée
Figure 1. Arrêts sur image lors de la stimulation mécanique du système nerveux de l’intestin de souris, maintenu en tétrodotoxine. La fluorescence correspond au niveau de calcium à l’intérieur des neurones, indicatif de la propagation d’un signal électrique.
© Amedzrovi Agbesi et al.
La mécanosensibilité de notre « deuxième cerveau » dévoilée
Figure 2. Les zones blanches indiquent la colocalisation des neurones (bleu) avec les canaux calciques de type L (jaune) sur cette coupe d’intestin de souris.
© Amedzrovi Agbesi et al.

Références
Tetrodotoxin-resistant mechano-sensitivity and L-type calcium channel-mediated spontaneous calcium activity in enteric neurons.
Richard J. Amedzrovi Agbesi, Amira El Merhie, Nick J. Spencer, Tim Hibberd, and Nicolas R. Chevalier.
Journal of Experimental Physiology, 2024.

https://doi.org/10.1113/EP091977

Contact

Nicolas Chevalier
Chargé de recherche CNRS au laboratoire Matière et systèmes complexes (MSC, CNRS/Université de Paris)
Communication CNRS Ingénierie