L'effet ouzo, un cocktail clé pour les nanotechnologies de demain

Résultat scientifique Procédés

Ajoutez de l’eau à n’importe quel alcool anisé et vous assistez à un fascinant phénomène physico-chimique où les deux liquides se mélangent puis se séparent, conférant un aspect laiteux à la boisson. La conception d’un procédé robuste utilisant cette émulsification spontanée est au cœur d’une étude récemment menée par le Laboratoire de génie chimique. Ces travaux, publiés dans Journal of Colloid and Interface Science, ouvrent la voie à de nouvelles méthodes de nano-fabrication, notamment utiles en pharmaceutique.

L’effet ouzo est un exemple singulier de nanotechnologie spontanée. Il s’agît d’une émulsification provoquée par l’ajout d’une certaine quantité d’eau à de l’alcool contenant de l’huile essentielle d’anis (Pastis, Ouzo, Raki, etc.). L’alcool et l’eau se mélangent et l’huile précipite spontanément. On obtient ainsi, sans aucun apport d’énergie, une nanoémulsion dont les gouttelettes diffusent la lumière, conférant un aspect trouble et laiteux à la boisson.

Au-delà des apéritifs anisés, ce phénomène est pertinent dans d’autres contextes car il permet d’obtenir spontanément des nano-objets. Sous la loupe des chercheurs depuis le début des années 2000, l’effet Ouzo est très étudié car les objets formés présentent un intérêt pour plusieurs applications en pharmaceutique, cosmétique, alimentaire, matériaux. Ainsi, la fabrication des nano-vecteurs d’ARN messager repose en partie sur ce phénomène. À vue d’œil, on pourrait considérer le phénomène achevé dès lors que les deux liquides sont mis en contact. Mais à l’échelle nanométrique c’est une véritable tempête dans un verre de Pastis, faite de rencontres et de séparations. Kevin Roger, physico-chimiste au Laboratoire de génie chimique de Toulouse (LGC, CNRS/Institut National Polytechnique de Toulouse/Université Toulouse 3 – Paul Sabatier) et son équipe, viennent de publier un article dans le Journal of Colloid and Interface Science, qui permet de décrypter et dépasser une des limites majeures de l’effet ouzo. En effet, la littérature existante montrait qu’au-delà d’une faible concentration en soluté (autour de 0,1%), les nano-objets devenaient des macro-objets. 

L’étude montre que cette limite est en fait de nature hydrodynamique et s’explique par un mélange trop lent par rapport à la nanoprécipitation du soluté, qui a été caractérisée à quelques millisecondes. Pour contourner cette limite, il faut mélanger plus vite et les scientifiques y sont parvenus grâce à des mélangeurs millifluidiques qu’ils ont spécifiquement adaptés. Ils ont alors observé qu’il était possible d’obtenir des nano-objets même à des concentrations en soluté beaucoup plus élevées (> 10 %). Une avancée d’intérêt pour les chercheurs et les industriels qui pourront fabriquer, en grande quantité, des nano-objets à l’architecture complexe et pouvant impliquer plusieurs processus de précipitation et d’assemblage.

L'effet Ouzo, un cocktail clé pour les nanotechnologies de demain
L'effet Ouzo se produit parce que l’extrait d’anis (notre soluté) utilisé pour l’aromatiser, est soluble dans l’alcool (solvant) mais pas dans l’eau (non solvant). Lorsque de l'eau est ajoutée à cette solution, le soluté précipite alors spontanément sous forme de nano-objets. Cependant, ce phénomène naturel ne se produit efficacement que lorsque le soluté est fortement dilué. Les chercheurs montrent que pour surmonter cette limitation et produire des nano-objets à des concentrations plus élevées, il est nécessaire de mélanger les deux liquides à une vitesse supérieure à celle à laquelle la précipitation s'effectue naturellement (quelques millisecondes).
© K. Roger, S. Belaud. Créé sur BioRender.com

Références
Nanoprecipitation through solvent-shifting using rapid mixing: dispelling the Ouzo boundary to reach large solute concentrations
Kevin Roger, Nataliya Shcherbakova, Lison Raynal.
Journal of colloid and interface science, juillet 2023
https://doi.org/10.1016/j.jcis.2023.07.065

Contact

Kevin Roger
Chargé de recherche CNRS au Laboratoire de génie chimique (LGC, CNRS/Toulouse INP/Université Toulouse III - Paul Sabatier)
Communication CNRS Ingénierie