Maladies neurodégénératives : la logistique du cerveau perturbée par l’allongement du temps de trajet
Pourquoi les facultés cognitives diminuent-elles plus vite que la dégradation des vaisseaux sanguins qui composent le cerveau ? Pour répondre à cette question, des scientifiques ont utilisé des outils issus de la physique statistique. Ils ont montré que pour certaines maladies neurodégénératives, le sang met plus de temps à atteindre les neurones, temps durant lequel sa concentration en oxygène diminue, augmentant significativement le nombre de neurones en stress hypoxique.
Le cerveau a besoin d’être approvisionné en matières premières, comme l’oxygène, ainsi que d’être débarrassé des déchets après leur usage. Cette logistique est assurée par les capillaires, un réseau de vaisseaux sanguins dix fois plus fins que nos cheveux et dont la taille, la quantité et l’enchevêtrement rendent impossible toute observation directe chez l’humain. Or ces vaisseaux peuvent subir de nombreux dysfonctionnements : micro-occlusions, réduction de diamètre, disparition… Il est donc difficile de comprendre comment ils sont atteints par le vieillissement et les maladies neurodégénératives, ainsi que leur rôle dans certaines de ces pathologies. Une maladie d’Alzheimer précoce bouche par exemple les plus petits capillaires, mais, comme le réseau de vaisseaux est extrêmement dense dans le cerveau, le sang parvient tout de même à irriguer les neurones en passant par d’autres capillaires et son débit n’en est que très peu limité. Les facultés cognitives ne devraient donc pas être impactées, mais elles sont bien atteintes, et ce à un rythme plus important que la diminution du débit sanguin. En combinant analyses théoriques et simulations numériques, des chercheurs et chercheuses de l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse (IMFT, CNRS/Toulouse INP/Université Toulouse - Paul Sabatier) et de l’Observatoire des sciences de l’univers de Rennes (OSUR, CNRS/Université Rennes 1/Université Rennes 2/INRAE) ont montré que les temps de trajet du sang pour irriguer les neurones varient très fortement au sein du réseau capillaire. Une faible baisse du débit sanguin suffit alors pour qu’une fraction de neurones passent en conditions hypoxiques, ce qui compromet leur viabilité à long terme.
Ces travaux, publiés dans Nature Communications, ont été menés grâce à des outils issus de la physique statistique basés sur le modèle de marche aléatoire. Cette théorie, utilisée en particulier pour prédire le transport de polluants dans les sols et milieux poreux, décrit le transport d’une particule qui opère des sauts aléatoires et change de vitesse au bout d’un temps variable, déterminé en fonction des propriétés de l’écoulement. Cette idée a été appliquée ici pour décrire le transport des globules rouges, des nutriments et de l’oxygène dans le cerveau, et a permis de montrer que, en cas d’endommagement des capillaires, l’oxygène pouvait rester bien plus longtemps que prévu dans les vaisseaux avant d’être acheminée aux neurones. Un temps durant lequel la qualité de leurs apports diminue considérablement. Ces travaux suggèrent que la progression de la maladie d’Alzheimer pourrait être combattue efficacement par des traitements ralentissant le processus occlusif des capillaires. L’équipe souhaite à présent explorer plus en détail ce qu’il se passe dans le tissu cérébral, et non plus seulement dans les vaisseaux, ainsi que dans le système glymphatique, qui transporte le fluide cérébro-spinal.
Références
Network-driven anomalous transport is a fundamental component of brain microvascular dysfunction.
Florian Goirand, Tanguy Le Borgne & Sylvie Lorthois.
Nature Communications 12, Article number: 7295 (2021).
https://www.nature.com/articles/s41467-021-27534-8