Une meilleure modélisation fine de la recristallisation des métaux

Résultat scientifique

La métallurgie industrielle passe par des étapes dont les principes physiques échappent parfois à la modélisation. Des chercheurs et chercheuses ont réussi une première modélisation de la phase de recristallisation par germination des métaux. Cette méthode, détaillée dans le Journal of the Mechanics and Physics of Solids, en combine deux plus anciennes.

Pour obtenir la tôle des portières de voiture ou du fuselage d’un avion, les alliages métalliques doivent être réduits en épaisseur par laminage. Cette opération déforme le matériau qui, à l’échelle mésoscopique, est composé de grains qui sont autant de cristaux uniques, ou monocristaux, dont le réseau atomique présente une même orientation. Chaque grain est séparé de ses voisins, qui ont une orientation différente, par un joint de grains. Le laminage accumule beaucoup d’énergie dans les grains, ce qui rend la feuille de métal cassante et fragile. Elle doit donc subir un traitement thermique à plusieurs centaines de degrés, grâce auquel les multiples grains écrasés forment de nouveaux grains, plus grands et moins nombreux, et se réorientent : on parle de recristallisation par germination et croissance. Malgré l’importance de cette phase pour la qualité du métal, la germination n’est pas développée dans les modèles thermomécaniques des métaux utilisés à ce jour, où elle est simplement remplacée par des estimations statistiques. Des chercheurs et chercheuses du Centre des matériaux (CDM, CNRS/Mines Paris-PSL), du Département matériaux et structures de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (DMAS, Onera) et de l’Institut Jean Lamour (IJL, CNRS/Univ. Lorraine) ont trouvé une solution pour intégrer une véritable germination aux modèles. Leurs résultats ont prédit avec succès la germination de nouveaux grains lors de la torsion circulaire d’une tige monocristalline de cuivre.

Pour y parvenir, l’équipe a utilisé le concept des champs de phase, qui décrivent l’apparition de nouvelles interfaces entre grains hétérogènes qui a lieu lors de la germination. Pendant cette étape, l’énergie contenue dans les grains compactés par le laminage va être consommée, déplaçant ainsi les joints de grains et permettant aux plus gros grains de « manger » les petits. L’approche des champs de phase considère les joints de grains comme une transition rapide, mais diffuse, entre les angles de leur orientation, forcément différente sans quoi il s’agirait d’un seul et même grain. Le modèle Kobayashi-Warren-Carter (KWC) entre dans cette catégorie et décrit bien la croissance des grains, mais il lui manquait de bien prendre en compte la germination couplée à la plasticité cristalline. Un défaut comblé en utilisant des modèles appelés milieux de Cosserat, baptisés d’après les frères François et Eugène Cosserat (1852-1914/1866-1931), ingénieur et astronome français. Ils permettent d’incorporer le comportement inélastique de relaxation des joints de grains. L’équipe a ensuite comparé avec succès son modèle à des résultats expérimentaux issus de la littérature, prédisant notamment une organisation des grains en chapelets dans un fil en torsion. Les scientifiques souhaitent à présent pousser leur modèle afin qu’il prenne en compte les polycristaux, et des tests vont bientôt avoir lieu sur des alliages d’aluminium.

À gauche, de l’aluminium après laminage, à droite, le même métal après vingt minutes à 350 degrés. On constate une forte réduction du nombre de grains et l’augmentation de leur taille par germination. Les couleurs correspondent à l’orientation des grains.
© Rollett et al., 2017.
Simulation de la torsion d’une tige monocristalline de cuivre par la nouvelle méthode KWC-Cosserat. On y voit un chapelet de grains dont les couleurs indiquent là aussi leur orientation.
© F. Ghiglione et al.

Références
Cosserat-phase-field modeling of grain nucleation in plastically deformed single crystals.
F. Ghiglione, A. Ask, K. Ammar, B. Appolaire and S. Forest.
Journal of the Mechanics and Physics of Solids, vol. 187, pp. 105628, 2024.
https://doi.org/10.1016/j.jmps.2024.105628
Article disponible sur la base d’archives ouvertes HAL

Contact

Samuel Forest
Directeur de recherche CNRS au Centre des matériaux (CDM, CNRS/Mines Paris - PSL)
Communication CNRS Ingénierie