Le Plein d’hydrogène
Les piles à combustible sont des générateurs électrochimiques convertissant l’énergie chimique en électricité, en eau et en chaleur. Faisant partie de ce que l’on nomme les technologies de l’hydrogène, elles ont aujourd’hui acquis le statut d’options majeures pour la transition énergétique. Cependant, elles sont loin d’être une nouveauté : régulièrement depuis la révélation de leur principe de fonctionnement dans la première moitié du XIXe siècle, les piles à combustible ont même fait l’objet en France de multiples phases d’engouement porteuses de promesses de meilleurs lendemains énergétiques, plus ou moins intenses et plus ou moins prolongées, et de phases de retrait, au cours desquelles l’espoir de voir leur déploiement devenir une réalité palpable s’amenuisait. Cette trajectoire sinusoïdale, quasi sisyphéenne, a d’ailleurs fait qu’on a pu les qualifier de technologies « éternellement émergentes » (Fréry, 2013, p. 85), renvoyées à une sorte de « futur proximal » (Bell & Dourish, 2007, p. 134), toujours proche mais n’advenant jamais. C’est cette histoire mouvementée que l’on cherche à analyser ici.
L’ouvrage s’organise en quatre chapitres répartis sur un axe résolument chronologique. Le premier chapitre couvre la période s’étalant de la première mention des piles à combustible en France au milieu du XIXe siècle, autour des expériences de Christian Friedrich Schoenbein, William Robert Grove et Carlo Matteucci, aux prémices de l’accélération des recherches à leur sujet à la fin des années cinquante. Y sont discutées les discontinuités observées entre les manières phénoménotechniques ou technoscientifiques de produire des connaissances sur ces générateurs. Un détour est également effectué pour décrire l’attention soutenue dont ces derniers firent l’objet au Royaume-Uni, sous l’impulsion des travaux novateurs entrepris par l’ingénieur anglais Francis T. Bacon, puis aux États-Unis, notamment dans le cadre de la conquête spatiale, et qui aboutit à l’émergence d’un complexe du retard sur l’étranger au niveau de l’Etat. Le deuxième chapitre détaille les modalités d’élaboration et d’exécution, par les Armées et la DGRST (Délégation générale à la recherche scientifique et technique) d’un plan scientifique national sur les piles à combustible tout au long des années soixante. Il insiste tout aussi bien sur l’appropriation de ce plan par les laboratoires publics et privés concernés – entre autres Alsthom, l’IFP (Institut français du pétrole), la CGE (Compagnie générale d’électricité), le Gaz de France, le Laboratoire d’électrolyse du CNRS à Meudon-Bellevue et la CFTH (Compagnie française Thomson-Houston) –, et qui contribue à les transformer profondément, que sur la coévolution de la technique et des promesses d’usage formulées, le rôle de l’EDF (Electricité de France) dans la réorientation des recherches vers la mobilité électrique terrestre et les causes des échecs enregistrés. Concentré sur la décennie suivante, autrement dit les années soixante-dix, le troisième chapitre relate de façon générale la double confrontation des piles à combustible au système énergétique français. D’un côté, l’accent est mis sur la concurrence technico-économique organisée par l’EDF entre la technique et les batteries concernant l’avenir du véhicule électrique, et les moyens mis en œuvre pour y faire face par les laboratoires souhaitant malgré tout poursuivre leurs études. De l’autre, ce sont les aspects de la construction d’un véritable paradigme hydrogénique, liée au premier choc pétrolier et au développement du parc électronucléaire, qui sont exposés. Le quatrième et dernier chapitre s’intéresse aux épisodes d’engouement et de désenchantement relatifs à l’hydrogène ayant existé depuis le début des années quatre-vingt-dix. Sont particulièrement mis en évidence le phénomène de rupture, tout spécialement engagé au sein du CEA (Commissariat à l’énergie atomique), avec les précédentes recherches ainsi que celui de l’adaptation des piles à combustible à la problématique de la transition énergétique. En guise de conclusion sont enfin jetées les bases théoriques et méthodologiques d’une approche de conception des technologies de l’hydrogène guidée par le souci des milieux.
À propos de l'auteur
Nicolas Simoncini est maître de conférences à l'Université de technologie Belfort-Montbéliard, membre de l'Institut Franche-Comté électronique mécanique thermique et optique - sciences et technologies (FEMTO-ST, CNRS/COMUE Université Bourgogne Franche-Comté). Il est spécialisé dans l'histoire et la sociologie de l'hydrogène et des piles à combustible ainsi que dans les sciences humaines et sociales pour la conception technologique.