Neurones artificiels : plusieurs avancées franco-japonaises marquantes

Résultat scientifique

Entre la France et le Japon, tout un écosystème de recherche s’est formé autour des neurones artificiels. Implanté à Tokyo, le Laboratory for Integrated Micro-Mechatronic Systems est un laboratoire international de recherche copiloté depuis une trentaine d’années par le CNRS et l’institut de sciences industrielles de l’université de Tokyo. Ce haut lieu de la recherche en micro et nanoélectronique sert, entre autres, de centre de gravité à des équipes internationales telles que Biomeg.

Les travaux présentés ici sont notamment issus de cette équipe, rassemblant des scientifiques du laboratoire de l’Intégration du matériau au système (IMS, CNRS/Bordeaux INP/Université de Bordeaux), du LIMMS et de l’université de Tokyo. Créé il y a quatre ans, BIOMEG a engendré une circulation fertile de chercheurs, de doctorants, de postdoctorants mais aussi d’étudiants en master ou en école d’ingénieur entre les deux pays.

Cela a permis à de nombreux travaux d’émerger, partageant souvent des co-auteurs, et visant à faire communiquer des systèmes artificiels avec des neurones biologiques. Ces recherches pourraient permettre d’étudier notre système nerveux, ou encore de développer de nouvelles thérapies. Elles pourraient également repousser les frontières de l’intelligence artificielle. Cette année, trois publications se sont démarquées tout particulièrement. Focus sur trois recherches marquantes qui mettent en valeur cette collaboration internationale. 

Une communication entre organoïdes cérébraux

Dans un premier article, publié dans Nature Communications, des chercheurs et chercheuses de l’Université de Tokyo, du LIMMS et de l’IMS ont découvert un moyen de créer davantage de connexions physiologiques entre deux organoïdes cérébraux. Les organoïdes sont des organes miniatures, fabriqués in vitro et composés des mêmes cellules que leurs versions grandeur nature. Ils servent à mener des expériences en contrôlant davantage de paramètres que lors de tests in vivo. Dans ces travaux, les organoïdes sont comme des cerveaux miniatures.

Dans notre corps, le transport d’informations se fait grâce à la substance blanche, principalement composée des axones qui transmettent les signaux électriques des neurones aux synapses. Pour émuler ce fonctionnement, les scientifiques ont installé une paire d’organoïdes sur une puce microfluidique de leur conception. Capable de mesurer l’activité électrique des organoïdes, la puce présente également des guides qui aident les axones à pousser à partir de cellules souches et à se rejoindre.

Une fois la liaison biologique établie entre les deux organoïdes, les scientifiques ont vérifié qu’elle formait bien une boucle fermée : c’est ce qui permet aux informations de circuler dans les deux sens d’un mini cerveau à l’autre. Ces connexions bidirectionnelles permettent de reproduire la façon dont les régions cérébrales sont connectées dans le cerveau humain. Les chercheurs et chercheuses comptent utiliser ces systèmes pour étudier les circuits neuronaux humains développés en laboratoire, afin de mieux comprendre la formation et l’évolution de ces réseaux au fil du temps et dans différentes situations. Ce qui pourrait conduire à de meilleurs traitements pour guérir certaines pathologies.

La plateforme BiœmuS

Dans un second article, publié également dans Nature Communications, une équipe, comprenant des chercheurs et chercheuses de l’IMS, du LIMMS, de l’Institut de neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine (INCIA, CNRS/Université de Bordeaux) et des universités de Tokyo et de Gênes (Italie), a développé une plateforme électronique capable de dialoguer en temps réel avec des systèmes biologiques. Ces travaux reposent sur les réseaux de neurones à impulsions, ou Spiking neural networks (SNN). Dans ces réseaux de neurones artificiels, l’information circule sous la forme d’impulsions électriques qui miment les potentiels d’action générés par les neurones naturels. L’information est ainsi transmise à un autre neurone, qui la fait suivre si l’impulsion est assez forte. Mais si elles sont suffisamment rapprochées dans le temps, de petites impulsions peuvent se cumuler pour atteindre ce seuil. Dans le système développé ici, le modèle de neurone utilisé est particulièrement biomimétique et émule l’activité temporelle des neurones biologiques, mais aussi la forme de leur potentiel d’action.

Les chercheurs ont donc mis au point la plateforme BiœmuS (Biomimetic emulation single compartment), qui comprend un SNN entièrement paramétrable sous forme de composants électroniques et une communication extérieure vers des systèmes biologiques ou des ordinateurs. Cette interface biophysique flexible, bon marché et simple d’utilisation émule des SNN en temps réel, ce qui permet de communiquer par boucle fermée à une vitesse adaptée aux neurones biologiques. Ce système a notamment été utilisé pour communiquer avec les organoïdes cérébraux du premier article. 

Fonctionnement et applications de Biomus. © Nature Communication

BiœmuS aide à étudier les interactions en boucle fermée entre neurones biologiques et artificiels. La plateforme est également pensée comme une base pour explorer des traitements de différentes pathologiques neurologiques par des impulsions électriques. On parle alors d’électroceutique. BiœmuS fonctionnerait comme une neuroprothèse, une sorte de pacemaker adapté au système nerveux.

Des neurones frileux à ADN

Enfin, dans un troisième article publié dans Nature Chemical Engineering, des chercheurs du LIMMS, de l’IMS et de l’Université de Tokyo ont été épaulés par des collègues du Laboratoire Jean Perrin (LJP, CNRS/Sorbonne Université) et du laboratoire Gulliver (CNRS/ESPCI). Dans ces travaux, ils sont parvenus à imiter le fonctionnement de neurones sensoriels avec un système chimique qui s’active en dessous d’une certaine température. Le neurone artificiel est ici conçu avec un matériau des plus surprenants : de l’ADN.

Ces neurones chimiques à base d’ADN ont été pensés à partir de l’idée que les neurones peuvent être considérés comme des systèmes alternant entre deux états : le repos et la production plus ou moins rythmée d’impulsions. Ce second comportement correspond à la capacité, déjà connue, de l’ADN à fonctionner comme un oscillateur. Grâce à une série d’enzymes, qui amplifient et dégradent exponentiellement l’ADN, les concentrations d’ADN ne se mettent à osciller que quand la température descend en dessous d’un seuil, et ce sans erreurs et autres faux départs. Ces impulsions stoppent sitôt que la chaleur remonte au-dessus du seuil.

Ayant reçu un soutien de France 2030 et du PEPR MoleculArxiv, le système est suffisamment précis pour être utilisé de deux manières. Dans le mode digital, le neurone chimique est capable de transmettre, sous forme d’impulsions, un message binaire dicté par le franchissement du seuil de température. Dans le mode analogique, le neurone chimique oscille à une fréquence strictement liée à la température et fonctionne donc comme un thermomètre. Les chercheurs tentent à présent de faire fonctionner ces neurones en réseau. Cela aurait pour effet de s’en servir comme base pour de nouveaux SNN. 

À gauche, les neurones biologiques ouvrent des canaux ioniques lorsqu’ils ressentent le froid et émettent une série d’impulsions. À droite, des enzymes sensibles à la température permettent, ou non, à un couple de brins d’ADN de reproduire ce pic d’impulsions en oscillant. © Nicolas Lobato-Dauzier et al.

Publiés à seulement quelques mois d’intervalle, ces articles illustrent l’effervescence et l’émulation issues de ces collaborations franco-japonaises. Plusieurs pistes sont ainsi explorées en même temps, et avec succès, pour repousser les frontières entre neurones biologiques et artificiels.

 

Références

Premier article :
Tatsuya Osaki, Tomoya Duenki, Siu Yu A. Chow, Yasuhiro Ikegami, Romain Beaubois, Timothée Levi, Nao Nakagawa-Tamagawa, Yoji Hirano & Yoshiho Ikeuchi. Complex activity and short-term plasticity of human cerebral organoids reciprocally connected with axonsNature Communications 15, 2945 (2024).
https://doi.org/10.1038/s41467-024-46787-7

Second article :
Romain Beaubois, Jérémy Cheslet, Tomoya Duenki, Giuseppe De Venuto, Marta Carè, Farad Khoyratee, Michela Chiappalone, Pascal Branchereau, Yoshiho Ikeuchi & Timothée Levi. BiœmuS: A new tool for neurological disorders studies through real-time emulation and hybridization using biomimetic Spiking Neural NetworkNature Communications volume 15, Article number: 5142 (2024).
https://doi.org/10.1038/s41467-024-48905-x

Troisième article :
Nicolas Lobato-Dauzier, Alexandre Baccouche, Guillaume Gines, Timothée Lévi, Yannick Rondelez, Teruo Fujii, Soo Hyeon Kim, Nathanaël Aubert-Kato & Anthony J. Genot. Neural coding of temperature with a DNA-based spiking chemical neuron. Nature Chemical Engineering, 1, 510–521 (2024).
https://doi.org/10.1038/s44286-024-00087-5

Contact

Anthony Genot
Directeur de recherche CNRS au Laboratory for integrated micro-mechatronic systems (LIMMS, CNRS/Université de Tokyo)
Timothée Levi
Professeur à l’université de Bordeaux, Laboratoire de l'intégration du matériau au système (IMS, CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP)
Nicolas Lobato-Dauzier
Post-doctorant au Laboratoire Jean Perrin (LJP, CNRS/Sorbonne Université)